C'est l'économie le seul truc qu'on peut faire, locale à notre niveau, pis y'a un vieux truc aussi qui devrait être remis au gout du jour ...
Pour tous ceux qui croient comprendre comment le système de crédit fonctionne ...
"The Chicago Plan" : l'idée oubliée pour sauver l'économie mondiale ?
Panique bancaire en 1929, des Américains font la queue devant la Millbury Bank du Massachusetts pour récupérer leurs économies.
Les élections européennes sont là pour le rappeler : les Français sont de plus en plus sceptiques vis-à-vis de la construction européenne. Particulièrement sur ses avantages économiques. Qu'on soit pour ou contre, l'euro n'a en rien constitué une barrière contre le séisme déclenché par la crise financière de 2008. Au contraire, celle-ci a révélé le défaut de construction de la monnaie unique, au point qu'elle est passée tout près de la disparition, fin 2011-début 2012. Son évolution paraît donc indispensable.
Mais la correction des défauts de conception de l'euro ne sera pas suffisante pour protéger l'Europe contre l'instabilité chronique du système financier, encore illustrée par la crise des "subprimes" américains. C'est pourquoi certains proposent de changer de fond en comble l'organisation du système actuel, en s'attaquant à ce qu'ils pensent être la racine du mal : le pouvoir de création monétaire aux banques privées.
Une idée défendue par le Prix Nobel français d'économie
Encore une utopie sortie du chapeau de quelques extrémistes de la gauche de la gauche ? Pas du tout. L'idée est ancienne. Des économistes plutôt libéraux de l'École de Chicago, au premier rang desquels Irving Fisher, l'avaient déjà proposée dans les années trente pour mettre fin à un système qui venait d'enfanter la crise financière de 1929 et la grande dépression.
Aujourd'hui, le "Chicago Plan" est explicitement défendu par le chroniqueur vedette du Financial Times, Martin Wolf, qui y a récemment consacré deux tribunes dans le quotidien britannique de la City. Sa pertinence pour réformer le système actuel a surtout été soutenue par deux économistes du Fonds monétaire international (FMI), Jaromir Benes et Michael Kumhof, dans un travail de 2012* (en anglais). Ce dernier est venu expliquer son fonctionnement, vendredi 23 mai, à un parterre de spécialistes de la finance, réuni à Paris par la Fondation Maurice-Allais. Décédé en 2010, l'unique Prix Nobel d'économie français (1988) avait lui aussi émis l'idée de retirer aux banques leur pouvoir de création monétaire, tout comme Milton Friedman.
Les crédits font les dépôts
Car ce sont bien les banques privées, et non la banque centrale, qui créent l'essentiel de la masse monétaire, via les crédits qu'elles accordent aux ménages et aux entreprises. "Contrairement à la vision dominante dans les modèles académiques, les banques ne sont pas des intermédiaires au sens où elles récolteraient l'épargne des gens pour la prêter à d'autres", explique Michael Kumhof. En accordant un prêt, elles créent du pouvoir d'achat, puisqu'elles créditent sur un compte de l'argent qui n'existait pas auparavant. Selon cette vision, ce sont "les crédits qui font les dépôts", et non pas, comme on pourrait en avoir l'intuition, "les dépôts qui font les crédits". Le salaire déposé dans une banque ne serait en fait qu'un débit du compte de l'employeur vers celui du salarié.
La banque centrale peut bien sûr contrôler indirectement l'offre de crédit des institutions financières privées, notamment par la fixation de son taux d'intérêt directeur. Mais la désinflation européenne actuelle montre que les instruments à sa disposition ont un effet limité dans certaines situations, surtout quand le taux d'intérêt a été ramené à zéro. Quand les banques ne veulent pas prêter, difficile de les forcer. Et inversement, pendant les phases d'euphorie, lorsqu'elles souhaitent accorder des crédits à tour de bras. C'est pendant ces phases que ménages et entreprises finissent par sous-estimer les risques qu'ils prennent. Ils surinvestissent avec la complicité des banques encouragés par les perspectives de gains peu risqués, et ce, jusqu'à l'éclatement de bulles, comme dans l'immobilier américain, en 2007. S'ensuit une phase de forte contraction du crédit au moment où l'économie en aurait justement besoin pour repartir.
En finir avec le risque de panique bancaire
Jusqu'à présent, la réponse au risque de crise du système bancaire a consisté à demander aux établissements de constituer plus de réserves (augmentation de capital, mise en réserve de leurs profits) en face de leurs prêts, pour qu'ils soient capables de faire face à leurs engagements en cas de crise. Mais cette approche ne fait qu'élever une digue qui peut être submergée, en cas de tsunami. D'autant que nombre d'institutions sont devenues trop grosses pour faire faillite et bénéficient de fait d'une garantie de l'État sur leurs activités.
Pour Maurice Allais et les concepteurs du "plan de Chicago", les banques privées doivent donc être transformées en simples teneurs de comptes courants et seraient rémunérées pour fournir et gérer des moyens de paiement. Les dépôts de leurs clients seraient garantis par des réserves d'argent public égales à 100 % des dépôts, d'où le surnom de "monnaie 100 %" donné au système. Avec l'avantage de supprimer tout risque de "bank run", lorsque les déposants veulent tous retirer leur argent en même temps.
Ces mêmes établissements, ou des entités totalement séparées (selon la variante retenue), seraient autorisés à tenir des "comptes d'investissement" destinés à accorder au maximum le même montant de crédits que l'argent récolté. Les banques retrouveraient donc le rôle d'intermédiaires entre épargnant et emprunteur que le public pense qu'elles jouent aujourd'hui. Les clients prêts à investir sur ce type de compte sauraient qu'ils prennent des risques et seraient rémunérés pour cela, mais ne bénéficieraient pas d'une garantie publique de leur dépôt et ne seraient pas autorisés à retirer leur argent comme bon leur semble.
Financer les États par l'augmentation de la masse monétaire
L'avantage principal de ce système serait de redonner à un institut d'émission public (la banque centrale, ou autre) le contrôle sur la quantité de monnaie en circulation, "sans que le comportement des banques (leur plus ou moins grande volonté de prêter) ou des agents économiques (leur plus ou moins grande volonté d'emprunter) puisse influer sur elle", écrit l'ancien banquier Christian Gomez dans une note de 2010. Tout emportement à la hausse ou à la baisse de la demande de prêts serait corrigé par une augmentation ou une décrue des taux d'intérêt dépendant uniquement du rapport entre épargne et investissement.
Ce système permettrait aussi d'attribuer le volume annuel d'augmentation de la masse monétaire (à définir), aux États eux-mêmes. "La création de monnaie se ferait en créditant les comptes des trésors publics (et non plus ceux des banques), lesquels pourraient utiliser ces ressources pour rembourser leur dette publique ou accroître leur financement budgétaire", explique Gaël Giraud, jésuite et directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions financières, dans un article pour Revue-banque.fr. Cela réduirait une source majeure d'augmentation des dettes publiques. "En effet, n'était le coût du service de la dette que le Trésor français supporte depuis la loi de 1973 interdisant les avances de la Banque de France au Trésor, la dette publique française serait inférieure à 30 % du PIB." Et Martin Wolf d'embrayer dans le Financial Times : "La droite pourrait décider de baisser les impôts, la gauche d'augmenter les dépenses. Ce serait un choix politique, comme il se doit."
Les opposants à ce système craignent qu'il ne débouche sur une pénurie majeure de crédits et la déflation. Une critique rejetée par ses défenseurs, arguant du fait que la variation des taux d'intérêt jouera un rôle de régulateur.
Ils n'en reconnaissent pas moins que la transition du système actuel vers le 100 % monnaie reste techniquement délicate. D'où cette prédiction de Martin Wolf : "Cela ne se fera pas maintenant. Mais rappelez-vous que c'est une possibilité. Quand la prochaine crise financière viendra - et elle viendra de façon certaine -, nous devons être prêts."
* The Chicago Plan Revisited, document de travail du FMI, août 2012